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La Grande Crise financière de 2008

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Quand on évolue dans le domaine des sciences humaines, depuis quelques décennies déjà, on sait pertinemment qu’il doit toujours exister, dans l’utilisation des recherches effectuées par les membres actifs de la communauté intellectuelle, une attitude éthique très marquée. En effet les différents documents que nous acceptons de diffuser sur diverses plateformes se voient malheureusement exposés aux manipulations les plus diverses, mais pas nécessairement les plus nobles : c’est pourquoi il nous apparaît nécessaire de rappeler aux utilisateurs potentiels de mes documents et recherches (ouvrages, articles, recherches disciplinaires, réflexions, essais, etc.) de faire part d’une véritable exigence morale dans l’utilisation de ces documents, quelle que soit par ailleurs le cadre formel ou non dans lequel sont effectivement utilisés ces documents. La personne qui utilise de tels documents doit absolument respecter les droits d’auteur, citer ses sources lorsque nécessaire, éviter le plagiat et ne jamais déformer le sens ni l’essence des écrits référés. Un droit de référer qui, toujours, devra se faire avec respect, discernement, intégrité et diligence.

 
 

 

 

LA GRANDE CRISE FINANCIÈRE DE 2008

Introduction

La presque totalité des économies de la planète, à divers degrés, ont été touchées depuis 2008 et continuent aujourd’hui d’être touchées aujourd’hui par une des plus graves crises financières et économiques qui ait existé depuis la Grande Dépression de la fin des années 20’. Cette crise majeure, qui a secoué les économies de tous les pays d’une façon ou d’une autre, n’a évidemment pas eu les mêmes répercussions sur les systèmes productifs des pays émergents ou les économies de forte croissance d’Asie que sur les vieilles et fragiles économiques des pays occidentaux ou que sur les économies dépendantes des pays en proie à un «mal développement».

Cette crise, que l’on qualifie en premier lieu de «crise financière», doit également être analysée comme une crise du système de la mondialisation dans son ensemble, comme une crise des systèmes économiques peu ou mal productifs, enfin comme une crise de la distribution et de la redistribution du travail et des richesses dans le monde entier. Mais il ne fait pas de doute que le cœur de la crise s’est situé principalement au niveau du système financier international, avec ses institutions spécifiques, ses mécanismes particuliers, ses modes de régulation et de contrôle, ses modes de gestion des capitaux et du risque, etc.

Ce travail, quoique de manière trop brève, cherchera à répondre à quelques-unes des questions essentielles que toute bonne analyse de cette crise nous amène nécessairement à nous poser : Quelles ont été les causes principales de cette terrible crise qui a secoué le système économique international et qui continue de faire sentir ses effets encore aujourd’hui ? Quelle a été la dynamique de cette crise financière tout au long de son déploiement ? Quelles réformes possibles devraient être envisagées par les acteurs économiques et les principales puissances économiques concernées par la crise ?

Section A) Les causes de la crise «financière»

Avant d’analyser plus en détail les causes spécifiques qui ont amené la Grande Récession de 2008, il faut d’abord comprendre le contexte économique général qui était à la source de cette crise majeure. Depuis la chute du mur de Berlin puis de la montée des puissantes économies émergentes, il faut absolument noter un certain nombre de grandes tendances qui existaient à travers l’économie mondiale : le fait de politiques néo-libérales de dérégulation et de déréglementation dans la plupart des économies occidentales ; une quasi-stagnation de la productivité et de l’expansion économique dans la plupart des économies occidentales (zone OCDE par exemple) ; mais une crise quand même de surproduction pour beaucoup de produits causés surtout par l’invasion de produits bon marché fabriqués en Asie ; un accroissement sans précédent des dettes publiques, qui servaient avant à relancer la croissance et les dépenses ; une volonté d’accroître les liquidités disponibles sur tous les marchés, au prix de politiques monétaires et bancaires pas très rigoureuses ; l’accroissement sans précédent de l’endettement (sous épargne) des ménages et des particuliers, et souvent aussi des entreprises ; une crise de confiance généralisée dans les capacités des économies occidentales de réellement parvenir à se replonger dans une croissance solide et durable (certains parlent déjà de «surdéveloppement») ; une désindustrialisation importante et des pertes massives d’emploi dans la plupart des économies développées (déterritorialisation du travail).

Il faut donc comprendre que l’accumulation de tous ces facteurs macroéconomiques, et la liste n’est pas nécessairement complète, ne pouvait qu’entraîner aussi bien les économies occidentales que le système économique mondial dans une crise d’ensemble importante. Les signes de crise économique, dans les économies développées, étaient clairs depuis pas mal de temps, mais les principaux décideurs (dirigeants des banques et grands organismes financiers, dirigeants politiques, etc.) ont tout fait pour différer le potentiel de crise économique existant par des mesures et des politiques artificielles. Mais les défauts du système ne pouvaient que grossir et finir que par produire la crise économique généralisée que l’on a connue. De 2002 à 2008, les économies développées ont continué à enfouir les problèmes économiques non résolus, à remettre pour demain les réformes qui s’imposaient, à se cacher par des politiques peu rigoureuses les problèmes d’endettement à tous les niveaux, à vouloir faire circuler beaucoup de liquidités afin de stimuler artificiellement l’activité économique, à favoriser la création de produits financiers sophistiqués et risqués … enfin pour l’essentiel tous les acteurs économiques importants du système ont agi sur le court terme dans le but irresponsable de «stimuler» l’économie, la production et l’emploi sur leur territoire national – peu importe si les politiques et les actions en question devaient mener tout droit à une crise économique majeure.

Mais avant de se généraliser à l’ensemble des économies, la crise économique a d’abord été une «crise financière», crise qui a éclaté dans un premier temps aux États-Unis et dont il faut comprendre les raisons :

La dynamique globale de la crise financière s’est fait autour d’un certain nombre de processus que l’on pourrait partir de 2004 quand, à la Convention de Bâle II, les puissances occidentales avaient assoupli les contraintes exigées aux Banques qui pouvaient ainsi «accorder davantage de prêts sans incidence sur leurs exigences de fonds propres»[1]. En fait les Banques sont des entreprises qui font de l’argent sur l’écart entre les intérêts qu’ils obtiennent sur les prêts qu’ils font et l’intérêt qu’il donne à leurs déposants. Pour les Banques commerciales, il s’agit de l’écart entre les rendements de leurs placements et les taux d’intérêt qu’ils offrent à leurs investisseurs. Mais depuis disons 2004, les Banques ont cherché à maximiser leurs profits en étant plus «agressif» sur les marchés financiers : elles se sont mises à accorder beaucoup de prêts hypothécaires à risque et aussi de faire des prêts elles-mêmes à court terme dans le but de faire demain plus de profits.

Donc les Banques, compte tenu des énormes liquidités disponibles et de la volonté politique des gouvernants de favoriser l’accès à la propriété pour tous les Américains, se sont mises à accorder beaucoup de prêts hypothécaires à des particuliers qui étaient déjà très endettés et qui n’avaient pas vraiment de revenus stables et solides.

De plus, les Banques ont créé, pour faire plus de profits, des produits financiers très sophistiqués dans le but de «transférer sur des titres vendus sur les marchés financiers les risques associés à des dettes adossées à des actifs»[2]. Aussi la plupart des grandes Banques, mais aussi les opérateurs privés comme les courtiers ou encore les grands opérateurs institutionnels comme «Fanny Mae et Freddy Mac», se sont mises à faire des prêts de plus en plus risqués parce que la loi le leur permettait, parce que les gouvernements les incitaient à le faire, parce que c’était une façon de stimuler la croissance, mais aussi parce que c’était dans l’intérêt des Banques d’agir de la sorte.

On s’est donc retrouvé, aux États-Unis, avec une bulle immobilière gigantesque, mais qui ne pouvait qu’éclater le jour où beaucoup de particuliers ne pourraient plus payer leurs prêts hypothécaires et déclareraient faillite. Mais on se retrouvait aussi avec un système financier où circulait une grande quantité de produits financiers risqués et dangereux pour la santé du système : puisqu’il s’agissait de produits financiers garantis par des actifs en train de s’effondrer – faisant s’effondrer la valeur «boursière» de ces titres «composites douteux» (Patrick Artus). L’éclatement de la bulle immobilière, à partir de 2007, va faire s’effondrer le marché de l’immobilier, mais cette crise va se répercuter peu à peu sur les autres dimensions des activités financières : phénomène de «contagion» qui va paralyser en 2008 tout le système financier international (car plusieurs pays étaient aussi dans la même situation que les États-Unis).

Donc des prêts immobiliers risqués avaient été accordés à des particuliers peu solvables ; ce sont ces prêts irresponsables (subprime) qui ont créé la bulle immobilière artificielle. Mais dès 2006, le taux de défaillance sur les «subprime» a dépassé les 5%. Après le premier effet de dévalorisation des valeurs et le grossissement des faillites, les investisseurs se sont mis à douter des titres qu’ils avaient achetés et qui contenaient des «subprime». Comme l’affirme Patrick Artus, «les Banques se soupçonnent les unes les autres de camoufler des subprimes sans valeur dans leurs produits financiers packagés»[3].  Puis les «véhicules d’investissement structurés», souvent financés par du papier commercial, qui circulaient sur les marchés interbancaires et par où transitaient les titres composés dangereux, ont cessé de trouver preneur. En même temps que les valeurs de titres s’effondraient de 50%, l’offre de capitaux se tarissait et le marché interbancaire devenait paralysé. Les Banques se voient obligées d’assumer les pertes et de déclarer des provisionnements de dizaines de milliards[4].

Immanquablement, et à mesure que les faillites doublaient dans l’immobilier et que les valeurs s’effondraient, les primes de risques associés aux titres demandés par les investisseurs se sont mises à augmenter considérablement, causant non seulement une contraction du marché du crédit, mais aussi la faillite potentielle des plus grandes institutions financières de Wall Street (Bear Sterns en premier). Peu à peu, il va y avoir contagion et la crise des «subprime» va s’étendre à l’ensemble des produits structurés (fonds ABS), puis à la dette des banques, puis au marché du crédit (obligations d’entreprises), aux actions (bourse), puis enfin aux fonds «private equity» et aux «hedge funds». La crise financière se généralise et commence à toucher la capitalisation et le roulement des entreprises, la disponibilité du crédit pour les entreprises et les particuliers, la stabilité du système financier dans son ensemble[5].


références

[1] Keely Brian, Love Patrick, (OCDE), De la crise à la reprise (causes, déroulement et conséquences de la Grande Récession), Chapitre I : Les racines d’une crise, page 8., OCDE, «Les essentiels de l’OCDE», Paris, 2010.
[2] Artus Patrick (sous la dir.), La crise financière : causes, effets et réformes nécessaires, Éd. Descartes et Cie, coll. «Le cercle des économistes», Paris, 2008, pp. 69-79.
[3] Artus Patrick (sous la dir.), La crise financière : causes, effets et réformes nécessaires, idem, pp. 44-45.
[4] Artus Patrick (sous la dir.), La crise financière : causes, effets et réformes nécessaires, idem,  pp. 44-45.s

La crise est donc le résultat de plusieurs facteurs combinés, soit les «politiques trop larges d’accession à la propriété dans plusieurs pays (États-Unis, Espagne, Angleterre, Japon)» et les «règles régissant Fannie Mae et Freddy mac», les «modifications au sujet des accords de Bâle II et des règles régissant les banques commerciales ou d’affaires», les «excès de liquidité provenant aussi des fonds souverains investis en occident par les économies d’Asie dont les Chinois», la «faiblesse de la croissance et de l’emploi qui augmente l’endettement et les faillites», mais surtout toute une «nouvelle culture bancaire très douteuse»[6].

Cette culture nouvelle consiste à rechercher avidement les profits à court terme : au lieu de réaliser des profits par des prêts suivant les règles prudentielles et proportionnelles à leurs fonds propres (profits à long terme), les Banques se sont mises à rechercher les profits à court terme tirés de la vente et de l’achat de produits financiers packagés. Inspirées du nouveau modèle bancaire «octroyer et céder», les banques peuvent prêter beaucoup plus d’argent que devraient leur permettre leurs fonds propres. Les Banques reprennent tous les prêts (immobiliers), les adossent à des actifs (valeur hypothécaire) puis transfèrent le risque en vendant ces titres composés à d’autres opérateurs financiers. En passant, les Banques touchent les revenus tirés des commissions associés aux transactions. C’est par cette «titrisation des créances» que les Banques ont rendue très fragile les marchés et les institutions financières. La titrisation est une opération bancaire qui sert à disséminer le risque sur une plus vaste gamme de porteurs : il se réalise par des opérations de «pooling», de «offloading» et de «tranching»[7] 

Section B) La dynamique de la crise «financière»

On peut également considérer la crise financière comme le «correctif» nécessaire et qui devait obligatoirement arriver ; la crise a corrigé le système financier international afin de le rendre plus sain. Pour la Banque du Canada, la crise provient de trois causes principales (absence de transparence au niveau des produits hautement structurés, incompatibilité des motivations au sein des institutions financières, érosion de la liquidité reliée à la solvabilité et caractère procyclique des règles prudentielles). D’une part il y avait trop d’épargne et pas assez de consommation dans les marchés émergents et dans les pays occidentaux un taux d’épargne négatif, trop de crédit et une envolée du…


[5] Artus Patrick (sous la dir.), La crise financière : causes, effets et réformes nécessaires, idem,  pp. 7-18.
[6] Keely Brian, Love Patrick, De la crise à la reprise (causes, déroulement et conséquences de la Grande Récession), idem, Chapitre I, Les racines d’une crise, pp. 8-10.
[7] Keely Brian, Love Patrick, De la crise à la reprise (causes, déroulement et conséquences de la Grande Récession), idem, Chapitre I, Les racines d’une crise, pp. 3-6.

…prix des actifs. Le tout a engendré un système à haut risque que la crise est venue corriger : la prudence est devenue la règle d’or en matière de crédit[8].

Mais il me semble que de dire que la crise est venue corriger ce qui n’allait pas dans le système financier international n’est pas suffisant : une fois déclenchée, comment la crise s’est généralisée et pourquoi a-t-elle touché après coup tous les secteurs de l’activité économique ?

Pour mieux saisir le déploiement rapide et la force de la crise financière et puis économique qui est arrivée en 2008, il faut d’abord comprendre que dans un système économique, aussi bien au niveau national qu’international, tous les facteurs sont intimement liés – de telle sorte que chaque fois qu’un problème surgit à un endroit donné, toutes les autres dimensions de l’activité économique sont également touchées : est-ce côté «causalité forte et intégrée», qui se fait de manière quasi mécanique en économie, qu’il ne faut jamais oublier puisque l’analyse d’un facteur économique renvoie immédiatement à son impact sur un autre facteur économique. La crise de 2008 en est un exemple parfait et c’est pour ça que les auteurs parlent beaucoup de «propagation» et de «contagion».

Analysons d’abord les différents facteurs :

Il y a eu dans un premier temps effondrement des valeurs dans le secteur immobilier, ce qui a déclenché la baisse du prix de l’immobilier, mais après coup le «resserrement du marché des prêts immobiliers». Associé à la chute de valeurs dans l’immobilier, le resserrement du crédit a freiné l’activité dans ce secteur qui est un des moteurs des économies développées, surtout aux États-Unis où il y a encore un gros développement immobilier. Le ralentissement dans ce secteur a entraîné un ralentissement partiel de l’économie.

Comme nous l’avons indiqué, il y a eu, aussi bien pour les particuliers, les Banques et les entreprises, un resserrement généralisé du crédit et une hausse des intérêts associés au crédit, compte tenu des produits «toxiques» qui circulaient sur les marchés et qui faisaient perdre beaucoup de valeur aux titres détenus par les divers opérateurs financiers : les Banques sont devenues plus pauvres (assumer les pertes) et plus «peureuses et nerveuses», refusant de plus en plus de passer de l’argent ou d’accepter des transactions avec tous les autres acteurs économiques (crédit pour les consommateurs, pour les entreprises, pour les Banques, pour les exportateurs, etc.). Les marchés du crédit se sont donc fortement contractés.

Les consommateurs qui se sont de plus en plus retrouvés en difficulté de paiement (et après en difficulté d’emploi) n’ont plus été capables d’utiliser la valeur de leur propriété comme garantie pour réaliser de nouveaux emprunts – ce qui a diminué leur pouvoir d’achat et réduit leur consommation de biens courants durables. De plus, ces mêmes consommateurs se sont mis à perdre confiance dans l’économie, ce qui a fait en sorte de ralentir leur prévision d’achat sur le moyen terme, souvent pour des biens durables…


[8] Banque du Canada, Politique Monétaire, Rapport annuel 2008 de la Banque du Canada, Ottawa, 2008, pages 1 et 2.

…comme les téléviseurs ou les automobiles. Avec effet d’entraînement sur l’économie qui se fait sentir dès l’année suivante.

Puis ce sont les entreprises qui se sont retrouvées en état de ralentissement économique, pour diverses raisons combinées : d’abord les consommateurs qui se sont mis à différer leurs achats sur les marchés ce qui fait grossir les stocks et ralentir la chaîne de production ; ensuite les entreprises qui ont dû elles aussi payer le crédit à des taux plus élevés ont dû soit différer leurs emprunts soit diminuer leurs projets d’investissement à court ou moyen terme ; ensuite les entreprises ont dû affronter, à partir de l’année suivante, un ralentissement dans leurs exportations de biens vers l’étranger, ce qui a été très difficile pour plusieurs, car les profits des entreprises dépendent souvent beaucoup des exportations ; enfin les petites et moyennes entreprises se sont retrouvées avec des problèmes de capitalisation et de fonds de roulement alors que les grosses entreprises ont eu de la difficulté à se financer en actions ou en systèmes d’investissement intégré (financement auprès de groupes financiers spécialisés – pour les projets pétroliers et énergétiques par exemple).

Puis ce sont les échanges internationaux qui se sont ralenti en 2009 (contraction de plus de 12 %). Après une croissance faible, mais positive en 2008, les échanges internationaux se sont effondrés en 2009, ce qui a forcé les entreprises à ralentir de beaucoup leur production (mise à pied de travailleurs) ou à accumuler des stocks (crise de surproduction), ce qui ne fait que différer une crise économique. Les grossistes, les exportateurs et les acteurs économiques qui travaillent à l’international doivent nécessairement financer à l’avance leur activité, soit assumer le temps entre la livraison des produits et le paiement des marchandises par le partenaire économique local : le financement de ces activités est devenu plus difficile, ce qui aggravait encore la crise économique. Finalement il ne faut jamais oublier que les échanges internationaux seront toujours «fragiles», car la concurrence est féroce et chaque pays essaie un peu de tricher afin de favoriser les entreprises nationales – il y a toutes sortes de façons de faire du protectionnisme ou de subventionner les entreprises nationales. Ceci correspond à du protectionnisme camouflé et limite la croissance des exportations à l’international. Il y a aussi les facteurs politiques, la sécurité énergétique, etc.

Ensuite il faut observer le facteur de l’emploi, ou plutôt du chômage de plus en plus massif qui s’est produit dans les économies développées. Ça faisait déjà plusieurs années que le travail avait tendance à se déplacer pour s’investir dans les zones franches des pays sous-développés, dans les petits pays d’Asie qui offraient des conditions faciles pour les multinationales comme Taïwan et Macao, ou encore dans des pays comme la Chine qui combinait travailleurs bon marché, technologie disponible, capitaux disponibles et organisation du travail efficace. Ce processus, qui a toujours continué, associé à la crise financière et à la crise de surproduction (mais de faible productivité) vécue par les entreprises, a provoqué une augmentation significative du chômage dans les pays de l’OCDE ou du G8. Quand les gens perdent leur emploi ou se mettent à travailler à temps partiel, ils cessent évidemment de consommer ou encore diffèrent leurs achats de biens durables – ce qui provoque un ralentissement de l’activité économique.

Finalement il fait dire qu’une des recettes traditionnelles pour relancer l’économie, pour les gouvernements, était de se lancer dans des dépenses publiques importantes (comme les projets d’infrastructure) ou encore de répandre beaucoup de liquidité sur les marchés afin de stimuler l’économie. Mais d’un côté les gouvernements sont tellement endettés que la recette de dépenser beaucoup d’argent devient de plus en plus impossible (les taux d’endettement des gouvernements sont tellement élevés que des pays comme la Grèce ne peuvent plus emprunter sur les marchés ou encore à des taux très élevés) et que d’autre part la recette de mettre beaucoup de liquidité sur les marchés devient difficile, car cela crée de l’inflation (sauf un peu pour les États-Unis à cause de la place du dollar dans le système économique mondial). Toute cette impuissance des gouvernements fait en sorte de rendre la crise économique encore plus forte[9].

De manière dynamique, il faut tenter de comprendre les chaînes causales les plus importantes et les plus significatives qui se sont propagées pour produire la crise économique globale que l’on a connue en 2008. La première chaîne causale va se jouer entre 2004 et 2007 et correspond à la dynamique de prêts à haut risque de la part des Banques, en direction de particuliers qui vont graduellement cesser de payer leurs prêts hypothécaires et forcer les Banques à enregistrer des pertes dû à l’effondrement des valeurs mobilières. Cette première chaîne causale va venir frapper une deuxième chaîne causale, fondée sur la tendance des Banques à disséminer le risque associé aux prêts qu’ils font, dans la mesure où elles cherchent à réaliser un maximum de prêts à court terme pour faire plus de profits. La première chaîne des crédits risqués et du système des «subprime» va venir enrayer le système général des transactions entre les Banques et de la dissémination du risque par le fait de produits financiers structurés dangereux (deuxième chaîne).

La troisième chaîne causale va correspondre à la nouvelle attitude des Banques et des opérateurs financiers face à la nouvelle réalité des marchés financiers. L’effondrement des valeurs, la perte de confiance dans le système bancaire et le fait d’assumer des produits financiers toxiques vont rendre les Banques très peureuses, ce qui va rendre le crédit plus rare et plus cher sur tous les marchés et pour tous les acteurs – les Banques, les particuliers, les familles, les entreprises. Le système financier va devenir paralysé dans son ensemble. Cette nouvelle donnée va alors se répercuter sur l’ensemble des systèmes économiques nationaux, en commençant à affecter la consommation personnelle (crédit aux individus) et l’activité des entreprises (fonds de roulement, investissements à court terme et moyen terme, capitalisation, exportations, actions, etc.) (quatrième chaîne causale). Par la suite, ce sont les pertes d’emploi de plus en plus fortes (perte du pouvoir d’achat des consommateurs) et le ralentissement important de la production par les entreprises qui vont finir de provoquer la crise et produire une récession majeure (cinquième chaîne causale). Finalement, les politiques des divers pays vont avoir tendance à amplifier la crise, car dans ces temps-là les pays cherchent à…


[9] Keely Brian, Love Patrick, De la crise à la reprise (causes, déroulement et conséquences de la Grande Récession),  idem, Chapitre II, Propagation, portée, réponses, pp. 1-5.

…protéger leurs compagnies nationales et font du protectionnisme de toutes sortes de façons, ce qui amplifie la crise au niveau de l’économie internationale[10]. 

Section C) Réformes possibles du système financier international

Après la crise, tous les pays membres de l’OCDE, par exemple, ont dû procéder à des réformes de leurs institutions financières, mais également de leurs politiques monétaires et fiscales. Ceux qui ont été touchés le plus solidement ont dû effectuer des réformes assez importantes concernant les principes, les règles et les lois devant régir leurs institutions financières, spécialement le système bancaire, mais également le marché des obligations et actions, le jeu des opérateurs financiers spécialisés (courtiers, etc.), enfin repenser leurs politiques monétaires et fiscales. Le Canada, un des pays les moins touchés par la crise, a surtout cherché à donner plus de «résilience» à son système bancaire, tout en continuant de suivre une politique monétaire un peu plus souple, mais toujours prudente – soit contrôler l’inflation, maintenir une bonne liquidité sur les marchés, mais ne pas inonder les marchés de dollars (principes liés aux mécanismes d’octroi des liquidités), maintenir les taux d’intérêt le plus bas possible, etc.

De plus, le Canada a voulu resserrer les règles concernant le jeu des transactions entre banques concernant le système général de circulation et d’évaluation des valeurs échangées dans le système financier en régulant davantage le «Système de transfert de paiements de grande valeur (STPGV)». Le Gouvernement du Canada a voulu assurer une meilleure régulation relativement à la reconnaissance et à l’admission des titres autorisés à s’échanger dans le système financier par la «Loi sur la compensation et le règlement des paiements», par des mesures comme l’obligation d’investir un certain pourcentage en argent avant de contracter un prêt hypothécaire, acceptation provisoire des titres contenant du papier commercial adossé à des actifs, etc. Par ces mesures, le Canada cherche à accroître la stabilité de son système financier, déjà considéré comme un des plus performants au monde[11].

Dans la plupart des grands pays de l’OCDE, on pourrait parler d’une approche multidimensionnelle dans la mesure où les gouvernements ont cherché à travailler sur divers plans pour résoudre la crise financière ; sur le contrôle des dépenses et la relance de la croissance ; sur l’élaboration de politiques monétaires et fiscales efficientes ; sur la création graduelle d’institutions internationales de contrôle et de régulation des systèmes financiers mondiaux ; enfin, le plus urgent et le plus important, sur la régulation et la règlementation des marchés financiers. Mais les gouvernements sont-ils réellement capables de transformer le système financier international à l’heure actuelle de l’affaiblissement des États-nations, de l’avancée d’une mondialisation économique très intégrée et de la puissance d’un système capitaliste capable de développer des outils très sophistiqués pour augmenter les profits et déjouer les réglementations ?[12]…


[10] Keely Brian, Love Patrick, De la crise à la reprise (causes, déroulement et conséquences de la Grande Récession), idem, Chapitre II, Propagation, portée, réponses.
[11] Banque du Canada, Rapport annuel, idem, pages 2-12.
[12] Keely Brian, Love Patrick, De la crise à la reprise (causes, déroulement et conséquences de la Grande Récession), idem, Chapitre III, Cinq questions pour l’avenir, pages 4-9.

…depuis la crise, plusieurs organisations intergouvernementales comme le G20, la Banque des règlements internationaux ou le Conseil de stabilité financière ont proposé des lignes directrices par lesquelles pourrait être amélioré le rendement des systèmes financiers nationaux et internationaux : la réglementation des marchés financiers, la lutte contre la fraude fiscale et la création d’une «norme mondiale» de comportement éthique.

Concernant le thème de la «réglementation financière», diverses propositions de réforme ont été suggérées comme : l’amélioration de la transparence dans le comportement des Banques au sujet du risque réel auquel elles s’exposent dans leurs transactions ; améliorer les systèmes de surveillance des institutions financières spécialisées et commerciales (fonds spéculatifs d’investissement) au sujet des opérations à court terme qu’elles se permettent afin d’augmenter leurs profits ; renforcer le système de gestion des risques et la gouvernance d’entreprise concernant les Banques et leur gestion de leurs portefeuilles (responsabilité accrue à tous les niveaux) ; corriger la rémunération des dirigeants ; enfin ne plus avoir «d’institutions trop grandes pour faire faillite», car la faillite des géants met en danger la totalité du système financier.[13]

L’OCDE suggère pour sa part que les gouvernements cherchent à atteindre les trois objectifs suivants pour mieux réguler leurs marchés financiers : rendre les systèmes financiers moins procycliques, limiter l’effet de levier et enfin pénaliser les erreurs.

Les Banques sont des entreprises financières qui prêtent beaucoup et facilement quand l’économie va bien et cessent de prêter quand l’économie va mal : leurs actions ont tendance à créer des cycles économiques de prospérité et de récession – le crédit devenant cher et les liquidités non disponibles quand la crise se déclare. Les gouvernements doivent donc inventer des mécanismes pour limiter les prêts douteux en temps de croissance et favoriser ces mêmes prêts lorsque la crise se déclenche.

Les gouvernements doivent ensuite forcer les Banques et leurs dirigeants à limiter la création de véhicules financiers très sophistiqués destinés à réaliser des profits à court terme en assurant une expansion rapide des Banques. Les dirigeants doivent être responsables des risques pris par leur Banque, contrôler ce risque et l’orienter vers des prêts favorisant la croissance économique réelle : les outils techniques et informatiques doivent être corrigés, mais surtout le comportement des dirigeants, des gestionnaires de portefeuilles, des courtiers, des «traders», etc. Quand on accumule les risques, dans une grande chaîne d’institutions, alors les effets sont multipliés de manière exponentielle quand le système déraille : on voit des faillites en chaîne. Ces mesures pourraient limiter l’effet de levier produit dans le système financier actuel.

Finalement, les gouvernements doivent s’assurer que les «erreurs», les fraudes et les négligences soient pénalisées de manière significative, ce qui n’est pas du tout le cas dans le système actuel. On pourrait se pencher sur le salaire des dirigeants et des gestionnaires, mais il faut aller plus loin et définir des règles et des normes claires et rigoureuses afin de forcer tous les opérateurs à modérer leurs appétits et à modifier…


[13] Keely Brian, Love Patrick, De la crise à la reprise (causes, déroulement et conséquences de la Grande Récession) idem, Chapitre IV, De nouvelles règles pour un nouveau monde, pages 8-9.

…leurs comportements au niveau de la gestion de leurs investissements : soit recherché le meilleur rendement, mais au travers de règles extrêmement strictes et rigoureuses selon la nature des placements, le mode de rémunération des titres et des transactions, les cadres de régulation des prises de risque, etc.[14]

Pour un économiste comme Patrick Artus, la crise a mis en évidence un certain nombre de mécanismes qui tendent vers l’instabilité financière : la valorisation insuffisante du risque, l’excès d’endettement et la valorisation excessive des prix de certains actifs, les effets procycliques des normes comptables et prudentielles, enfin certaines anomalies dans le comportement des banques[15]. Alors afin de favoriser le retour à une valorisation normale du risque, d’éviter les excès d’endettement et d’éviter l’évaluation excessive des prix de certains actifs, cet économiste suggère un certain nombre de réformes, dans le système financier, qui seraient susceptibles d’améliorer le rendement des systèmes financiers nationaux et internationaux :

  • Que les politiques monétaires aient aussi comme objectif le contrôle des taux d’endettement et des prix des actifs
  • Que des appels de marge (dépôts de garantie) ex ante plus élevés soient instaurés, concernant les fonds
  • Que l’on crée un statut d’investisseur à long terme doté de règles prudentielles qui ne découragent pas la détention d’actifs risqués, pour les investisseurs institutionnels

Que l’on oblige les banques :

  • Au provisionnement dynamique des créances risquées
  • À posséder des réserves obligatoires non rémunérées sur les crédits
  • À accepter d’avoir des besoins en fonds propres liés aux actifs même titrisés
  • De maintenir dans leurs bilans une partie de toutes les créances titrisées
  • À accepter d’être supervisées sur leurs revenus provenant de leurs activités de «trading»[16]

Malheureusement, on voit bien que la plupart des recommandations qui ont été proposées par toute une série d’acteurs financiers et d’économistes n’ont pas et ne risquent pas d’être appliquées par les décideurs politiques, parce que cela signifierait la fin des privilèges pour toute une classe sociale qui s’est toujours enrichie au travers d’un système financier construit pour produire des profits. Les courtiers, certains bureaux d’avocats, les banquiers, les spécialistes en placements et en fiscalité, les «traders», les agents de change, les opérateurs chargés d’administrer les institutions financières … sont tous des agents sociaux intéressés et qui tirent leur subsistance d’un système construit pour engendrer des profits. Il faut quand même s’indigner de voir le citoyen normal payer pour réparer un système qui s’est surtout enrayé à cause de l’avidité démesurée de tous ceux qui ont pris des risques «irresponsables» avec l’argent des autres.


[14] Keely Brian, Love Patrick, De la crise à la reprise (causes, déroulement et conséquences de la Grande Récession), idem, Chapitre IV, De nouvelles règles pour un nouveau monde, pages 3-7.
[15] Artus Patrick (sous la dir.), La crise financière : c
auses, effets et réformes nécessaires, idem, page 129.
[16] Artus Patrick (sous la dir.), La crise financière : causes, effets et réformes nécessaires, idem, pp. 137-139.

Conclusion

Les deux questions centrales que nous amène à nous poser notre travail seraient sûrement :

  • Les gouvernements ont-ils le pouvoir de vraiment réguler les systèmes financiers à l’échelle internationale ?
  • et, va-t-on vraiment pouvoir sortir de la crise et recommencer un cycle de croissance économique durable ?

En fait on pourrait se demander si l’état non seulement du système financier, mais également du système économique international n’est pas en train de changer de manière structurelle –

baisse des taux de profit en général, concentration asiatique de l’économie et perte d’influence de l’occident, fin de la régulation du système international par les États-nations

… peut-être que nous assistons à une transformation majeure de tout le système international, au niveau économique d’abord, mais bientôt aussi au niveau politique et social : les pôles de décision de déplacent, la richesse sociale et financière se déplace, les flux économiques les plus importants se déplacent, etc.

Peut-être que la crise financière n’était que le début de perturbations beaucoup plus importantes et que les économies occidentales ne retrouveront pas avant longtemps la prospérité facile qu’ils vivaient avant, fondées sur les mêmes recettes et les mêmes principes économiques libéraux qui existaient depuis Adam Smith.


Bibliographie

Artus Patrick (sous la dir.), La crise financière : causes, effets et réformes nécessaires, Éd. Descartes et Cie (Presses Universitaires de France), coll. «Le cercle des économistes», Paris, 2008, 140 pages.

Banque du Canada, Politique Monétaire, Rapport annuel 2008 de la Banque du Canada, Ottawa, 2008.

Ministère des Finances, Rapport sur la crise financière au Président de la République, Paris, 2008.

Keeley Brian, Love Patrick, (OCDE), De la crise à la reprise (Causes, déroulement et conséquences de la Grande Récession), OCDE, «Les essentiels de l’OCDE», Paris, 2010.

  • Chapitre I : Les racines d’une crise
  • Chapitre II : Propagation, portée, réponses
  • Chapitre III : Cinq questions pour l’avenir
  • Chapitre IV : De nouvelles règles pour un Nouveau Monde

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