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Refonder la théorie économique du développement

Avertissement

Quand on évolue dans le domaine des sciences humaines, depuis quelques décennies déjà, on sait pertinemment qu’il doit toujours exister, dans l’utilisation des recherches effectuées par les membres actifs de la communauté intellectuelle, une attitude éthique très marquée. En effet les différents documents que nous acceptons de diffuser sur diverses plateformes se voient malheureusement exposés aux manipulations les plus diverses, mais pas nécessairement les plus nobles : c’est pourquoi il nous apparaît nécessaire de rappeler aux utilisateurs potentiels de mes documents et recherches (ouvrages, articles, recherches disciplinaires, réflexions, essais, etc.) de faire part d’une véritable exigence morale dans l’utilisation de ces documents, quelle que soit par ailleurs le cadre formel ou non dans lequel sont effectivement utilisés ces documents. La personne qui utilise de tels documents doit absolument respecter les droits d’auteur, citer ses sources lorsque nécessaire, éviter le plagiat et ne jamais déformer le sens ni l’essence des écrits référés. Un droit de référer qui, toujours, devra se faire avec respect, discernement, intégrité et diligence.

 
 

 

 

L’esprit qui anime ce travail est fort simple. Quand on étudie les modèles théoriques produits par cette science qu’on appelle « l’économie », on est toujours stupéfait par l’incroyable « réductionnisme » des conceptions de l’homme qui s’avèrent « incorporées » dans les modèles théoriques élaborées par cette science. On se demande parfois comment des penseurs aussi instruits et scolarisés peuvent bien accepter de construire et de travailler avec des modèles aussi « simplificateurs » eu égard à l’incroyable complexité du réel humain, y compris lorsqu’il est question d’activité économique.

Beaucoup d’économistes ont tenté, surtout durant la deuxième moitié du vingtième siècle, d’élaborer des modèles de micro-économie susceptibles d’intégrer dans l’analyse un certain nombre de variables relatives au comportement de l’acteur économique, aux motivations qui commandent à son action, aux perceptions qui président à l’évaluation des situations et des contextes économiques, aux modes d’évaluation des facteurs de risque dans des contextes structurels donnés, etc. Ces modèles et ces hypothèses de travail, toutefois, ne s’attaquent jamais ni aux postulats théoriques de la science économique, ni aux fondations épistémologiques de cette même science, ni aux effets paradigmatiques associés à cette science singulière, encore moins aux fondations anthropologiques qui sous-tendent nos conceptions du développement économique.

Pour relier l’homme moyen et ses actes économiques à la gnose économique, les économistes se sont longtemps et pour l’essentiel contentés d’utiliser les raisonnements et les équations du « marginalisme », modélisation théorique qui en s’appuyant sur le schème réducteur de l’homo oeconomicus, permettait « en apparence » de formaliser adéquatement le comportement pratique de l’acteur économique. Était en somme proposée une pragmatique de l’action rationnelle pour le détenteur de capital ou pour la firme en situation de concurrence sur le marché (micro économie), doublée d’une modélisation « marginaliste » du comportement économique de l’acteur individuel.

Mais puisque ce genre de modélisation théorique ne correspond à rien de tangible quant au comportement réel des individus engagés dans la complexité du réel – les individus engagés eux-mêmes agissant en fonction de causes multiformes et multidimensionnelles – on en arrive à une sorte de science « abstraite » qui se nourrit davantage « d’abstractions, d’idéalités et de normes » que d’une compréhension ou d’une explication véritables des actions humaines (même économiques). Dans cette zone sensible où la science économique essaie de se « connecter » sur la psychologie et le psychisme des acteurs individuels et sociaux, on peut dire que seul l’incroyable prestige dont jouit la science économique en général permet à la plupart des travaux proposés à ce niveau de ne pas sombrer dans le discrédit le plus total.

L’objectif de cette modeste étude pourrait donc se formuler ainsi : réintroduire dans les modèles économiques existants davantage de complexité – complexité qui correspond davantage à la réalité du comportement humain et qui ne peut donc que rendre les modèles proposés plus pertinents et plus performants. Mais il ne suffit pas seulement d’élaborer des modèles mathématiques plus sophistiqués et ce, sans toucher aux postulats théoriques, aux groupes épistémologiques, aux effets paradigmatiques et aux fondations anthropologiques sur lesquels reposent la science économique actuelle.

Il est évident que les brèches que nous cherchons à ouvrir dans ce travail constituent de véritables boîtes de pandore et que l’entreprise théorique que nous désirons réaliser ici ne pourra déboucher que sur une gigantesque mise en abîme de la condition humaine : déconstruire et prendre en compte l’action humaine dans toutes ses composantes multidimensionnelles, dans toutes ses déterminations structurelles, sociales et individuelles, dans toutes ses motivations conscientes et inconscientes, dans toutes ses impulsions de divers ordres et de diverses natures, dans toutes ses intentions bonnes et mauvaises, dans toutes ses contradictions et origines …

Le défi peut paraître impossible à relever mais nous croyons qu’il est quand même possible d’enrichir substantiellement les modèles qui nous sont proposés en économie et d’y introduire un certain nombre de « paramètres » et de « principes » pouvant assurer une meilleure adéquation entre un projet de développement économique et le modèle théorique censé rendre compte du projet désigné – rendre compte de la nature de la réalité sociale dans laquelle va s’insérer le projet (monde sacré/monde séculier), rendre compte du type de synthèse dynamique « homo oeconomicus/homme socialis » que le projet entend réaliser concrètement (anthropologie du libéralisme/anthropologie du socialisme), rendre compte du type d’artefact institutionnel que le projet entend édifier (pertinence et performance du dispositif institutionnel proposé).

Ce « paramétrage » d’un projet de développement constitue en lui-même une sorte de synthèse vivante entre l’état historique d’une société et son degré de compatibilité avec le déploiement d’un mode économique donné, entre la personne humaine conçue comme un agent individuel doté d’intérêts, de désirs, de passions, de sentiments, d’ambitions, etc. … et la personne humaine conçue comme un être de valeurs (sociales), un être de croyances (collectivement partagées), un être de sociabilité (valeurs, normes, conventions, schèmes, etc.), entre les êtres humains engagés dans des entreprises collectives et les artefacts institutionnels lourds qu’il édifient pour encadrer, structurer et donner forme à leurs actions.

Pour n’être pas complet et achevé, ce modèle possède au moins l’avantage d’opérer « de facto » une synthèse dynamique fonctionnelle entre la plupart des impératifs dialectiques contradictoires sur lesquels se butent les modèles de développement habituels : connaître l’état civilisationnel d’une société permet d’opérer la synthèse entre son passé et son présent (voir son avenir possible), construire le système des contraintes et des incitatifs devant impulser l’action des agents permet d’opérer la synthèse entre les impératifs reliés à l’individu et les impératifs reliés aux contraintes de l’action collective, définir le genre d’artefact institutionnel qui serait à la fois pertinent et performant permet d’opérer la synthèse entre chacun des individus concernés et l’architectonique institutionnelle élaborée.

La science économique doit accepter de redevenir une science humaine – une science humaine qualitative susceptible de gagner en « compréhension » et en « capacité d’intervention » ce qu’elle perdra en «assurance théorique » et en « formalisation ». Car ce dont il s’agit ici, en fin de compte, ce n’est pas de s’offrir de beaux modèles aux allures savantes et scientifiques mais de construire des modèles capables de réfléchir des ensembles complexes de paramètres … réflexion devant guider les actions concertées censées mener à un développement économique viable. Mais il est relativement facile de faire advenir un développement économique – encore faut-il que ce développement soit démocratique, viable, durable et en harmonie avec les forces sociales en présence.

 

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