Si la mondialisation est en premier lieu un phénomène économique, elle devient de plus en plus un phénomène global qui intègre dans sa dynamique tous les aspects de la vie humaine (consommation, travail, marketing et publicité, design, mode de vie, choix et modèles culturels, etc.). Des processus aussi importants, surtout au niveau économique, ne peuvent pas ne pas influencer massivement les structures et les institutions politiques de tous les pays concernés : pays riches ou pauvres, pays du nord ou du sud, pays industrialisés ou agraires, pays communistes ou pays capitalistes.
Dans son texte, Silviu Brucan cherche à démontrer que nous sommes entrés, au niveau des relations internationales, dans une période de «transition de l’histoire». Alors que les forces et les processus qui façonnaient l’État, avant, provenaient principalement de l’intérieur des sociétés (lutte des classes, division interne du travail, plus-value et profit, rapports sociaux de production, niveau technologique, classe dirigeante, etc.), c’est maintenant le système international qui façonne les États et leur dicte leur code de conduite. Il y aurait donc eu renforcement et autonomisation du système économique international.
Brucan défend la thèse, concernant la genèse de l’État, que cette institution ne provient pas seulement de la lutte marxiste des classes. Selon lui, l’anthropologie politique doit également tenir compte du fait de l’intégration ethnologique : l’État ayant eu comme fonction d’intégrer politiquement dans des ensembles plus vastes soit les groupes qui avaient été conquis soit ceux dont le système de parenté ne fonctionnait plus suffisamment. Ce faisant, S. Brucan s’oppose aux penseurs qui considèrent que le concept «d’État-Nation» n’a plus sa place aujourd’hui et que l’État n’est plus un acteur significatif sur la scène internationale.
Brucan défend l’idée que les classes politiques dirigeantes possèdent un bon degré d’autonomie par rapport aux forces économiques, surtout lorsqu’il s’agit de définir la politique étrangère et de nouer des relations internationales. Parfois, les choix politiques au niveau international peuvent carrément aller dans le sens inverse des intérêts du grand capital et des firmes multinationales. Ceci ne veut pas dire que les classes politiques s’opposent complètement aux forces du marché et aux pouvoirs de l’économie. Pour cet auteur, «les intérêts et les objectifs de classe opèrent verticalement à l’intérieur du système national, mais non pas horizontalement dans les relations avec d’autres nations».
Historiquement, ce qui s’est passé c’est que les nations se sont peu à peu consolidées et les États renforcés ; ceci a permis à l’État-Nation d’acquérir de plus en plus d’autonomie par rapport aux forces économiques intérieures, surtout concernant la défense des intérêts vitaux de la nation. Même à l’intérieur de l’État, il ne faut tomber dans une conception «mécaniste» du lien entre politique et base économique : il y a toujours le jeu complexe des partis politiques et des mouvements politiques, même si de manière globale les grandes décisions politiques des dirigeants ne peuvent pas aller dans un sens totalement opposé aux intérêts des capitalistes. Même si l’impact des forces extérieures tend de plus en plus à déterminer la structure et les orientations majeures des États-Nations, il ne faut jamais sous-estimer, selon Brucan, l’influence sur l’État des facteurs qui relèvent de l’intérieur (leadership politique, base naturelle/matérielle, structure et forces sociales, etc.).
Pour Brucan, toutefois, le système international (système global) est devenu tellement «systématique» et fonctionne de manière tellement réglé qu’il force les États à se conduire de manière prédéterminée. La circulation des biens et des personnes, l’intensification des relations de tous ordres, l’ouverture, les accords et les pactes … ont finalement produit un réel système international intégré – même si Brucan croit que la formation d’un tel système provient surtout de la «révolution scientifique et technique» et non exclusivement des processus économiques ou des processus politiques.
Ulrich Beck, pour sa part, partage parfaitement l’idée que le système économique mondial est devenu un système très intégré mais il ne voit pas du tout l’État de la même façon que Silviu Brucan. Pour cet auteur, l’État est une institution politique indépendante dont la souveraineté a été pour sûr affaiblie par la puissance de l’économie mondiale. C’est pourquoi ce penseur croit que l’on doit en arriver à une «auto transformation cosmopolitique de la politique et de l’État». Dans le méga-jeu du pouvoir global, l’État doit se transformer pour se donner les moyens de devenir un acteur capable de réguler les flux économiques mondiaux. L’État doit travailler avec la société civile, gagner une nouvelle capacité d’action transnationale et de nouvelles sources de légitimité globale : cela lui permettra de jouer un rôle important dans l’évolution du monde et ce, pour le bien-être des populations.
Les États pourront développer le pouvoir politique de la transnationalité et de la transsouveraineté coopérative en contrant la stratégie maximale du capital et des FMN, en enrayant les monopoles sur les marchés, en réduisant la concurrence entre les États, en adoptant des stratégies de cosmopolitisation des États et du politique, des stratégies d’indispensabilité et d’irremplaçabilité, en maximisant les stratégies de coopération entre États à tous les niveaux.
Francis Fukuyama va dans le même sens lorsqu’il essaie de mieux comprendre les liens complexes qui existent entre le développement des États politiques et le développement économique : dans le but entre autres de mieux conseiller les organismes internationaux lorsqu’ils essaient de guider un pays embarqué dans un processus de développement politique et économique. Fukuyama croit qu’il est difficile de construire de l’extérieur des institutions politiques fortes et légitimes mais il constate que si les États démocratiques occidentaux ont mieux réussi à réguler les flux économiques mondiaux que les États faibles et peu démocratiques, c’est à cause du fait d’institutions «faible» en étendue (activité encadrée) mais «forte» en puissance institutionnelle.
Pour richard Rosecrance, la leçon qu’il faut tirer est que le nouveau facteur de pouvoir, d’expansion et de richesse, pour les États, n’est pas géo territorial, militaire ou physique – ni même industriel au sens premier du terme. La puissance fondée sur les structures industrielles et les exportations, c’étaient des pays comme le Japon et l’Allemagne. Ce modèle était le meilleur mais il est en train d’être délogé par le modèle «Singapour». Le modèle Singapour, c’est le modèle de l’État virtuel fondé sur l’intelligence, la sous-traitance, les transferts d’information et de connaissances, la capacité conseil, la conception et le marketing, le contrôle des montages financiers et l’accès aux ressources financières, etc.
Il y aurait donc aujourd’hui, ce qui n’existait pas avant, un système planétaire fonctionnant à partir de principes stables et identifiables où les États-Nations seraient de plus en plus forcés d’adapter leurs comportements et leurs structures aux exigences de ce système très serré. La mondialisation a tellement infiltré tous les domaines de la vie politique, sociale, économique et culturelle que les États passent leur temps à réagir aux pressions et aux exigences imposées par ce mouvement global. Dans tous les secteurs stratégiques, la pression est déterminante.
Pour S. Brucan, cela prouve que «l’interdépendance» entre les pays et les nations est maintenant quelque chose de complètement réalisé : il n’y a plus de pays autonomes. Pour tout ce qui concerne le progrès technologique, par exemple, les États n’ont pas le choix d’investir massivement dans la science et la technologie, de planifier, de soutenir les firmes qui innovent, d’aider le développement, de favoriser l’implantation des technologies nouvelles, etc. Tout cela devient donc un vaste réseau entreprises/institutions où l’État travaille continuellement à adapter la société aux exigences de la mondialisation (concurrence). Il en est de même du coté de la croissance économique : continuellement, l’État travaille à réguler les marchés, à fixer les bons cadres légaux et réglementaires, à favoriser le développement et l’implantation des firmes, à attirer les capitaux étrangers, en somme à adapter la société intérieure aux contraintes économiques extérieures.
Dans les pays industrialisés, l’État-Nation entretient des relations complexes et contradictoires avec les FMN. D’un coté, l’État cherche à soutenir les FMN nationales, dans le but de la aider à prendre de l’expansion ; de l’autre les États posent certaines limites à l’action de ces mêmes firmes (au niveau des salaires, de la délocalisation, des prêts, etc.). Mais pour ce qui est de l’action de ces firmes à l’étranger, l’État national tend à les soutenir le plus possible, entre autres par une série d’interventions au niveau des pays d’accueil afin qu’ils laissent aux compagnies le maximum de marge de manœuvre (pressions, prêts, transferts de technologie, aide, remise de dettes, vente d’armes, promesse de protection, etc.). Tout ceci tend à rendre encore plus dense le coté «systématique» du système international, chaque pays essayant de tirer le meilleur parti de la situation en fonction de ses avantages comparatifs.
Pour les pays en voie de développement, cette pression est encore plus insupportable dans la mesure où ils ne possèdent rien qui puisse faire jouer en leur faveur les rapports de force entre le système et chacun des pays concernés. Que ce soit au niveau militaire et stratégique, au niveau économique (technologique) ou même au niveau culturel, les PVD subissent de manière dramatique le rapport de force inégal qui les relie aux pays riches. Mais leur niveau d’intégration dans l’économie mondiale et leur dépendance sont devenus tels qu’ils ne peuvent plus rien faire d’autre que de poursuivre cette dépendance en suivant encore plus à la lettre les demandes des pays puissants (réduire leur dette, couper dans les dépenses publiques, privatiser leurs compagnies nationales, réduire les services).
Quant aux sociétés socialistes, S. Brucan constate qu’elles subissent de plus en plus directement la pression provenant des pays industrialisés, et que si elles ne réussissent pas à mener à terme le développement industriel autonome qu’elles avaient planifiées, elles seront obligées de se soumettre de plus en plus aux exigences du système économique mondial. Les États socialistes doivent devenir plus libres et plus souples s’ils veulent concurrencer les pays industrialisés, mais ils ne peuvent devenir plus libres et plus souples sans perdre leur spécificité socialiste. En général, ils ont tendance à rejoindre de plus en plus les standards existants dans les sociétés capitalistes.
Disons en conclusion que s’il est difficile d’évaluer jusqu’à quel point il est devenu impossible, pour un État et une nation, de garder un peu d’autonomie face au système mondial, il est certain que l’on ne peut pas ignorer l’influence déterminante, et que l’on constate tous les jours, que le système mondial fait peser sur tous les pays sans exception.
Question 2) À partir des textes lus dans ce cours (Boukharine, Bornschier, Michalet, Castello, Adda), retracez les principales transformations de l’économie mondiale. Ayez soin d’indiquer le rôle joué par les nouveaux acteurs?
Avant de vouloir retracer les principales transformations de l’économie mondiale, il faut d’abord se demander pourquoi l’on parle aujourd’hui de capitalisme et d’économie mondiale. Dans les textes qu’ils nous proposent, J. Adda et N. Boukharine nous donnent les bases nous permettant de comprendre comment s’est développé le système capitaliste en occident et comment il a évolué pour devenir aujourd’hui un système économique mondial.
C’est en occident chrétien, dans des pays où régnaient un précapitalisme médiéval, qu’est apparu graduellement le «capitalisme marchand». Alors que les pouvoirs seigneuriaux étaient limités et que les pouvoirs royaux étaient en gestation, les villes ont pu acquérir une autonomie politique assez forte, utilisant souvent des jeux de pouvoir entre les rois et les seigneurs. Sur la base d’une accumulation patrimoniale très forte, d’une position politique stratégique, d’une mise en forme des outils monétaires nécessaires et d’une position géographique favorable, les Cités-Marchandes ont acquis entre le 13’siècle et le 15’siècle un pouvoir et une richesse impressionnantes.
Les grands marchands de Venise et de Gènes sont devenus très riches en faisant le commerce des métaux précieux venus d’Afrique et d’Amérique, des épices et des produits exotiques venus d’Afrique et d’Asie, des produits textiles venus d’Orient en direction de l’occident ou partant de Flandres en direction du Moyen-Orient ou de l’Asie, etc. Par rapport au précapitalisme médiéval, le capitalisme marchand correspond à une phase d’accumulation du capital beaucoup plus marquée et à une division du travail plus poussée, les marchands exploitant déjà les avantages comparatifs qui existaient entre les différents espaces culturels et géographiques – au niveau des produits existants, au niveau des techniques de travail, au niveau des groupes d’artisans spécialisés dans certaines productions.
Mais le capitalisme marchand restait limité par la prédominance de la valeur d’utilité sur la valeur d’échange, par la petitesse des marchés, par le traditionalisme des guildes d’artisans et des savoirs-faires impliqués au niveau de la production, par une division simpliste et géographique du travail (chaque région travaillant les produits locaux), par des formes plus archaïques de pouvoir politique. À partir du 16’siècle, en Europe, va apparaître une forme plus avancée de capitalisme : le capitalisme «industriel». Le capitalisme industriel correspond à une transformation qualitative du système capitaliste et de l’économie mondiale qui existait à l’époque.
Pour que la Capital continue de grossir et que l’accumulation s’intensifie, le capitalisme va provoquer des bouleversements importants dans l’organisation des sociétés occidentales : fondé sur des pouvoirs politiques puissants (monarchies), le capital va acheter massivement le travail (développement du salariat), intensifier la division du travail dans chaque unité de travail (création d’ateliers et d’usines), produire des biens en grande quantité et ouvrir les marchés nationaux et internationaux dans le but d’écouler les biens produits (primauté de la valeur d’échange sur la valeur d’usage). Profitant de la diversité des milieux naturels ainsi que du degré inégal de développement des forces productives, le capitalisme industriel va imposer une nouvelle division internationale du travail reposant sur les capacités industrielles de l’occident par rapport à un monde largement dominé par des méthodes traditionnelles de travail.
De plus, le capitalisme industriel va d’autant plus imposer un nouvel ordre économique mondial qu’il va se fonder, tout au long des 18 et 19’ siècles, sur la domination politique de l’occident sur le monde (esclavagisme, colonialisme, conquêtes militaires). Cette domination politique va permettre aux forces capitalistes du «centre» d’exploiter facilement les ressources naturelles des pays situés à la «périphérie» du système, pour alimenter en produits finis les économies fleurissantes des pays riches et industrialisés. Tout au long du 19’ siècle, le mode de production capitaliste va se diffuser partout sur la planète, par le biais de divers procédés (investissement direct, crédit, aide, etc.) lui permettant chaque fois d’intensifier la production de plus-value. Pendant toute cette période, le taux d’exploitation des ressources et du travail, dans les pays pauvres de la périphérie, va engendrer une économie mondiale de plus en plus dominée par les classes capitalistes du nord et leurs représentants politiques et produisant ce que Samir Amin a appelé «l’échange inégal».
Au vingtième siècle, malgré la division du monde en camp socialiste et camp capitaliste, le capitalisme industriel n’a pas du tout perdu de l’importance ; au contraire, il s’est développé à un rythme sans précédent, se donnant les outils nécessaires à la poursuite de son développement : instruments financiers, instruments politiques et légaux, instruments technologiques. Dans son ouvrage, Joseph Stiglitz montre comment des organismes comme le FMI et la BM ont été des instruments de développement qui n’ont fait que servir les intérêts du capitalisme international, depuis la deuxième guerre mondiale surtout. Quelques soient les politiques de développement adoptées par ces organismes (keynésienne, néolibérale, technocratique, etc.), le résultat a toujours été le même, soit l’expansion toujours plus marquée du capitalisme international.
Au vingtième siècle, le système capitaliste et l’économie-monde se sont tellement développés que plusieurs auteurs ont tenu à souligner «l’effet système» engendré par le capitalisme mondial : c’est-à-dire la structuration rigide d’un ordre hiérarchique entre nations, d’une division inter nationale du travail et d’une logique d’accumulation du capital centre-périphérie. Pour V. Bornschier, il faut toutefois considérer la fait qu’il y a en réalité trois sous-systèmes en interaction continuelle : le système politique-militaire, le système capitaliste et le système socioculturel dominant. Même si le système économique de type capitaliste demeure le plus important des trois et que les deux autres travaillent à renforcer le système capitaliste mondial, les deux autres systèmes possèdent une certaine autonomie – surtout le système politique-militaire dont les actions peuvent parfois limiter ou retarder l’expansion du système capitaliste mondial (car le système capitaliste a besoin, ultimement, du système politique-militaire).
Pour comprendre les transformations actuelles du système capitaliste, C.-A. Michalet met l’accent sur un certain nombre de facteurs qui nous obligent également à repenser le paradigme de l’économie classique. Avant, on pouvait parler d’économie mondiale, mais dans l’idée que cette dernière reposait sur des économies nationales pleines et des États-Nations souverains : or il faut maintenant repenser le statut de l’État-Nation dans l’économie mondiale. Plusieurs facteurs nous obligent à repenser le statut des États-Nations : l’internationalisation de la production, la création d’un marché inter-bancaire international semi-privé, le rôle des FMN et la transnationalisation des circuits financiers et monétaires.
Tous ces facteurs, très puissants, ont permis aux firmes multinationales soit d’affaiblir la souveraineté des États-Nations, soit de contourner les frontières politiques, soit enfin de rendre ces frontières fluides et poreuses (souveraineté à l’intérieur des activités de la firme, transferts instantanés de capitaux et d’informations, fluidité des marques et fabrications d’origine, chantage politique pour éliminer les barrières, les lois et les contraintes, etc.). Tout cela a eu pour résultat de nous faire passer de l’État-Nation à l’État-Territoire, où le problème de la Nation a été écartée et où l’État n’est plus qu’un vaste espace économique ouvert (marché potentiel) pour produire, distribuer ou vendre des produits ou des services.
D’autres auteurs, comme Joseph Nye, considèrent que les transformations dans le système économique mondial suivent le jeu des nouvelles sources réelles de pouvoir : la technologie adaptée, l’ingénierie intégrale, les savoirs conseils, l’accès à des sources stratégiques de financement, la coordination accélérée des opérations sur le terrain, la fiabilité et la compétence du personnel. Les firmes qui possèdent réellement les atouts nécessaires peuvent en quelques années se construire des empires discrets capables de traverser toutes les frontières politiques et capables de déjouer toutes les résistances sociales ou culturelles.
D’autres, enfin, font valoir que le système capitaliste mondial n’est pas totalement aussi autonome que certains le prétendent et qu’il se développe beaucoup grâce à l’aide des État nationaux les plus puissants. L’État moderne, pour Zaki Laïdi, s’est beaucoup fondu dans la société civile et dans les processus économiques globaux : l’État a donné la forme légale et les cadres légaux pour le développement des FMN; l’État a assuré la régulation des marchés, le soutien des structures économiques, la formation des organismes économiques internationaux, le financement collectif des grands groupes industriels, etc. L’avancée de l’économie mondiale et l’activité des FMN se fonde sur des appuis politiques, sur des institutions nationales et internationales, sur des entités semi-autonomes (cabinets d’avocats et de spécialistes conseils), sur des instituts de financement et de crédits officiels.
- Bonrschier va encore plus loin en affirmant que les firmes multinationales du centre définissent aujourd’hui ce que sera demain la «nouvelle forme dominante des rapports économiques globaux». Pour lui, ce sont les activités des FMN qui structurent la forme actuelle de l’économie mondiale : leur mode de décision, leur organisation interne, leur mode de fonctionnement, leur mode de financement, etc. C’est l’activité des FMN qui provoque l’apparition des pays émergents et des économies périphériques : Chine, Mexique, Brésil, Inde. Ces pays vont de plus en plus du coté des tâches de production régulières (industrialisation dépendante), alors que les centres stratégiques des FMN se réservent la conception, la direction, le marketing, l’intelligence et le savoir, la recherche et le développement, l’organisation et la structure financière.
Pour Manuel Castells, on serait passé d’une économie mondiale à une économie «globale» : capable de fonctionner comme unité en temps réel à l’échelle planétaire. Pour lui, ce sont les nouvelles technologies de la communication et de l’information qui sont en train de faire subir à l’économie mondiale une nouvelle transformation qualitative. Au niveau des sociétés, les nouvelles technologies bouleversent toutes les habitudes et tous les cadres de pensée qui existaient jusqu’à présent; du coté des processus économiques, ces technologies ouvrent pour les FMN des possibilités incroyables à tous les niveaux : télématique, réseautique, transferts d’informations et de savoirs à des vitesses inouïes, etc.
Les FMN accèdent en temps réel à tous les facteurs de production, sur toute la planète : main-d’œuvre qualifiée, conseils d’experts, transferts de technologies et de savoirs-faires, transferts de capitaux et de financement (de profits), transferts d’informations stratégiques, accès à l’aide des États, délocalisation rapide. Ce phénomène est le plus avancé du coté des «structures industrielles en toile d’araignée» ou encore des «chaînes de commodité» à l’initiative de l’acheteur ou du producteur.
Évidemment, il y a et il y aura toujours certaines limites à l’intégration du monde dans l’économie mondiale : il y aura toujours des résistances et des mouvements capables de s’opposer en partie à l’avancée du système mondial actuel. Ces résistances proviennent surtout des États-Nations, du fait que ces entités politiques sont là pour représenter des nations spécifiques (protection sociale, protectionnisme, aides et alliances économiques et politiques, défense et politique étrangère, idéologie, etc.); mais il y a aussi le problème des interférences régionales et ethniques (repli sur soi, intégration, mouvements politiques et culturels, traditions) ainsi que le problème de la segmentation – soit la difficulté d’intégrer dans le système mondial la totalité des groupes sociaux existants dans les sociétés.
Sur les acteurs :
Si le capitalisme industriel du 19’ siècle était beaucoup construit sur le jeu entre États-Nations et firmes nationales (même si ces firmes vendaient des produits à l’étranger et exploitaient les ressources du tiers-monde), le capitalisme de la dernière moitié du 20’ siècle est construit surtout sur le jeu des États-Nations, des FMN, des Opérateurs internationaux, des Banques internationales et des Organismes internationaux (FMI, OMC).
Les États-Nations, dans le système mondial actuel, continuent de jouer un rôle plus important que les gens croient : ils garantissent la base du système à tous les niveaux (militaire, fondations politiques, cadres légaux, pactes et accords, régulation, etc.).
Les Firmes Multinationales jouent également un rôle central dans le système actuel : elles possèdent avec les détenteurs du capital financier le pouvoir le plus déterminant. Elles ont la technologie, le savoir, les capacités d’entreprendre n’importe quelle opération, n’importe où et n’importe quand sur la planète. Aucun État ne peut contrecarrer leurs actions stratégiques. Aucun projet crédible, en termes de développement industriel, ne peut aboutir sans leur intervention et leur expertise.
Les Grandes Banques internationales sont devenues des acteurs très importants dans le système actuel : elles ont la capacité exclusive de financer les projets les plus importants et ceux dont elles croient retirer les avantages les plus forts.
Les Opérateurs internationaux jouent un rôle non négligeable dans la mesure où ils sont devenus les grands intermédiaires clés dans la réalisation des projets d’envergure : ce sont les super-organisateurs du système.
Finalement les Organismes internationaux jouent un rôle qui peut de moins en moins être remplacé : ce sont les super-régulateurs du système. Graduellement, ils travaillent continuellement à intégrer dans les grands accords et dans les standards mondiaux l’activité de tous les pays et de toutes les entreprises.