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Les compromis historiques et l’occident

Avertissement

Quand on évolue dans le domaine des sciences humaines, depuis quelques décennies déjà, on sait pertinemment qu’il doit toujours exister, dans l’utilisation des recherches effectuées par les membres actifs de la communauté intellectuelle, une attitude éthique très marquée. En effet les différents documents que nous acceptons de diffuser sur diverses plateformes se voient malheureusement exposés aux manipulations les plus diverses, mais pas nécessairement les plus nobles : c’est pourquoi il nous apparaît nécessaire de rappeler aux utilisateurs potentiels de mes documents et recherches (ouvrages, articles, recherches disciplinaires, réflexions, essais, etc.) de faire part d’une véritable exigence morale dans l’utilisation de ces documents, quelle que soit par ailleurs le cadre formel ou non dans lequel sont effectivement utilisés ces documents. La personne qui utilise de tels documents doit absolument respecter les droits d’auteur, citer ses sources lorsque nécessaire, éviter le plagiat et ne jamais déformer le sens ni l’essence des écrits référés. Un droit de référer qui, toujours, devra se faire avec respect, discernement, intégrité et diligence.

 
 

 

 

Le libéralisme démocratique

Comme nous le disions, le libéralisme économique s’inscrit dans une philosophie beaucoup plus large que la stricte dimension économique; le  libéralisme  représente en effet une conception globale de l’homme et de son rapport au monde. Dans sa version classique, le libéralisme se veut une thèse universelle capable de s’appliquer aussi bien au niveau économique, social et politique qu’au niveau humain (la libération progressive des potentialités de l’homme). 

Et même s’il n’y a jamais eu de société construite sur le modèle du libéralisme « classique » au sens strict, on peut dire que plusieurs parmi les grandes nations modernes d’occident se sont largement inspirées et s’inspirent encore largement du modèle libéral d’organisation sociétale : les États-Unis, l’Angleterre, le Canada, etc. Mais aucune de ces sociétés, loin s’en faut, n’est construite uniquement sur le modèle libéral et ce, aussi bien au niveau social, au niveau économique, au niveau politique – ou encore au niveau des formes convenues d’affranchissement et de réalisation de soi que ces mêmes sociétés offrent et privilégient.

Des sociétés comme le Canada sont tout de même construites sur l’idée que la liberté est naturelle et première, et sur l’impératif que toutes les institutions et tous les construits collectifs doivent respecter de manière inconditionnelle le principe inaliénable de la liberté individuelle – voire de la rencontre des multiples libertés individuelles.

Dans le domaine économique, la propriété privée et l’entreprise privée constituent des acquis sacrés, et partout on essaie d’instaurer la logique du marché et de la concurrence réglée, etc. ; dans le domaine politique, la liberté de chaque personne représente un base non négociable et ce, à quelque niveau qu’on appréhende les choses politiques – droit de vote, inviolabilité du corps et de l’esprit, respect de la dignité humaine, liberté de parole et d’association, etc. ; dans le domaine social, la liberté de s’associer et de se dissocier, le droit absolu de changer d’opinion ou d’orientation, le droit de croire à quelques dieux ou à quelques idoles de notre choix, la stricte liberté d’adhésion à des valeurs ou à des modes de vie, etc. Dans la sphère privée, le droit de penser et de gérer sa vie comme on le veut, de vivre ses relations humaines comme on le veut et le désire … dans la mesure évidemment où l’on n’atteint pas à la vie d’autrui, etc.



La  sociale  démocratie.

La sociale démocratie, avec ses nombreuses variations et modalités, représente une sorte de compromis socio-économique qui s’est sûrement imposé comme la forme sociétale la plus souvent pratiquée en occident ; dans les faits, c’est essentiellement à un compromis de type « social démocratie » que l’on a eu affaire en occident.

La social démocratie réellement pratiquée dans nos pays demeure toutefois une sorte de forme subordonnée – subordonnée au modèle libéral – devenu nécessaire pour compenser les défauts et les ratés des systèmes trop intégralement libéraux. Comme s’il était impossible de maintenir un ordre social harmonieux et un climat social « cool » et pacifié sans transférer à l’État démocratique toute une série de fonctions que le privé ne peut pas ou ne pouvait pas remplir – les régulations d’ensemble et les infrastructures, les transferts sociaux et les programmes d’aide et de soutien aux particuliers et aux familles, les grandes fonctions d’éducation et de santé, la réduction des inégalités économiques, la résolution des grands problèmes collectifs (environnement, sécurité, épidémie, etc.).

Mais la sociale démocratie a surtout acquis sa crédibilité et sa légitimité par le fait qu’elle ne remettait pas en question les droits et acquis fondamentaux dont s’étaient dotées les formations sociales libérales de départ et les principes constitutionnels libéraux qui avaient présidé à la fondation de ces mêmes sociétés. Comme le souligne Karl Polayni dans ses fameuses thèses, le 20’ siècle se caractérise par le fait que les sociétés occidentales, sans toutefois rompre avec les impératifs de la doctrine libérale, ont peu à peu édictées des lois de plus en plus contraignantes afin de limiter les acquis trop radicalement libéraux qui prévalaient dans ces sociétés : lois contraignantes sur la terre et la propriété patrimoniale, lois contraignantes sur le travail et tout ce qui l’entoure, lois contraignantes sur le capital, la plus-value, le profit, et sur la circulation du capital. 

Mais le compromis social démocrate est allé encore plus loin quant à l’intervention de l’État, la logique des transferts collectifs, la mise en place de dispositifs puissants quadrillant l’espace social, la densification des normes, règlements et contraintes juridiques venant encadrer l’activité des personnes, des familles, des associations et des entreprises. Comme on sait, c’est le grand économiste anglais John Maynard Keynes qui a édifié en théorie économique formelle crédible la pensée sociale démocrate.

 

Le néo libéralisme

Le néo libéralisme n’avait pas bonne presse après la seconde grande guerre ; mais depuis les années 1980, il est devenu un modèle crédible et une source d’inspiration importante à tous les niveaux d’organisation de la vie collective.  Les sociétés occidentales seraient devenues sclérosées parce que l’initiative et l’innovation se trouveraient désormais étouffées par les lourdeurs « fiscale, financière, administrative et bureaucratique » induites par tous les acquis « socialisants » existants dans nos sociétés. Il faut privatiser, désinstitutionnaliser, déconcentrer, démocratiser … il faut réintroduire partout de la responsabilité, de l’innovation, de l’initiative, de la stimulation, de la performance, de la compétence, du risque, etc.

D’une manière encore plus radicale et impérative que ce que commandait la doctrine libérale classique, il faut tout repenser et retrouver la pureté des principes dynamiques libéraux qui avaient inspirés les pères fondateurs du libéralisme : laisser jouer le libre jeu des entités primitives naturelles, soit l’individu et la famille ; laisser jouer le libre jeu des forces  sauvages  du marché ; laisser jouer le libre jeu des initiatives privées et des entreprises individuelles ; laisser jouer le libre jeu des affinités, des regroupements et des sympathies naturelles ; laisser jouer le libre jeu des transferts spontanés, naturels et librement consentis – dons, charités, associations d’entraide, organismes de prise en charge, fondations privées, etc. ; laisser jouer le … 

Cette doctrine spécifique, qui cherche à faire vivre un libéralisme intégral épurée, n’a jamais pu devenir encore le modèle dominant d’organisation sociale qui prévaudrait dans un espace social complet. Mais il a tout de même inspiré toute une série de politiques, de programmes, d’initiatives et de décisions qui ont vu le jour dans nos pays  et il représente en plus un sorte de chien de garde idéologique qui met une pression continuelle sur toute velléité de transferts sociaux de type social démocrate. Formalisé par des penseurs comme Milton Friedman, la doctrine néo libérale est allée très loin dans le reconceptualisation des fondations de ce que devrait être un ordre social idéal. Avec des penseurs comme Frédéric Hayek, la pensée néo libérale en arrive à une vision profondément « ontologique » de l’idée de marché – système universel des transactions et des échanges pouvant et devant relier les personnes et les biens, ainsi que les modalités, les termes et les valeurs de ces transactions et de ces échanges.  

 

Le social étatisme

Le social étatisme fait partie de la liste des compromis historiques qui ont prévalu en occident ; quoiqu’on ne le rencontre pas non plus à l’état pur, cette formation originale a finalement joué un rôle plus important qu’on aime bien le croire. Puisque l’État démocratique,  mais souverain, a acquis une telle puissance d’intervention (légitime) dans nos sociétés et aussi compte tenu de l’énorme pression extérieure exercée par le capitalisme et la mondialisation, c’est finalement l’État qui a souvent servi de protecteur économique, de promoteur économique, de constructeur économique, de régulateur économique, de formateur économique.

Dans les sociales démocraties germaniques, le social étatisme a pris une place assez considérable comme moteur original fondamental du développement économique : l’État qui force les compromis entre les acteurs sociaux, gère et dirige les grands projets de développement intégré, protège les industries nationales menacées et participe à la création et au lancement d’entreprises stratégiques nationales …

Cette conception, que des économistes comme Joseph Schumpeter ont officialisé et formalisé, propose de se servir de l’État – l’acteur social le plus puissant – comme levier économique central. Les occidentaux n’aiment pas le qualificatif de « social étatisme » mais il est indéniable que l’État a joué et continue à jouer un rôle majeur dans l’organisation de nos sociétés et même dans le développement économique de ces dernières. 

D’après cette doctrine, seul l’État dans nos sociétés éclatées – dans un secteur par exemple stratégique où la capitalisation privée nécessaire fait défaut – a le pouvoir d’enfanter les imposantes entreprises qui seraient nécessaires (avec beaucoup de capital, du travail à valeur ajouté, d’importantes ressources de divers ordres) au développement ordonné d’une économie nationale prospère. Par le biais de l’État, la collectivité draine l’épargne des particuliers afin d’asseoir sur une base nationale une industrie  structurante  qui pourra par la suite se suffire sur les marchés. Pour des secteurs aussi stratégiques que le secteur des véhicules automobiles par exemple, l’État a joué ce rôle dans la plupart des pays occidentaux : c’est même sur cette fameuse base nationale que la plupart des grandes marques européennes ou japonaises ont vu le jour sur les marchés mondiaux (Toyota, Honda, Volvo, Renault, Fiat, Wolkswagen, etc.).   

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